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6. PAS SANS AMIS

 

 

Chez nous

ça sent la soupe et le bébé dormant

les disques pleurent car on les ioue souvent

nos chiens sont fous, mais pas du tout méchants

Chez nous

la porte reste ouverte iour et nuit

Il y a touiours un plat de spaghettis

et du café tout chaud pour les amis

 

En mars 1974, Pagani passe au Théátre des Variétés avec, en première partíe, des guitaristes, accordéonistes, chanteurs et danseurs italiens, quelques copains de Naples et de Rome qu'il voulaìt présenter à Paris. La Méditerranée sur scène, avec sa misére, ses prophéties et ses extases. Comme il dit " Je peux vivre sans pain, mais pas sans amis. " Le publíc fait un triomphe, les critiques le mettent en pièces. Les tarentelles, les puleinelles et les arlequíns n'ont pas l'heur de plaire. Pagani avait été gáté par le métier : il voulait dire merci. Il se sentait accepté. En travailleur méritant, il fait monter sa famille, nage en pleine commedia et néglige son propre tour de chant. Par la suite, il se produira seul.

Il eut tort : on le lui fit bien voir.

En 1975, avec son quatrième album, Peintures, il radicalise plusieurs de ses positions. Certes. il chante toujours les racismes et les races, les filles aux yeux noirs et la Méditerranée au eccur, avec des mots-palette, chatoyants, scintillants, poète des teintes et des accents, mais aussi Show-biznesse et Messieurs les Présidents. Contestation du métier, contestation du pouvoir. Fait-il semblant de scier la branche sur laquelle il s'est assis ? Pagani n'est pas d'accord. Il chante dans les maisons de jeunes, dans les fétes de parti, et pense que les trois quarts de son public n'ont pas l'argent nécessaire pour acheter ses disques : il a honte d'un système qui continue à considérer la musique comme un produit de luxe et à la taxer au méme titre que les parfums ou le cinéma pornographique : le prix de chaque disque est augmenté des 33 % de la T.V.A., ce qui en fait une denrée pour privilégié. Son public : des jeunes, des profs, des instituteurs, des ètudiants, des ouvriers, on vient en famille, on discute, Pagani se fait une obligation de rester dans sa loge une à deux heures après le speetacle, afin de communiquer avec ceux qui ont envie de lui dire à quel point ils ont été touchés, dérangés, irrités ou ravis. Souvent, une écrasante majorité de minoritaires : Arabes, Portugais, Italiens, Juifs.

 

Pagani veut faire plaisir à tous ceux-là: on l'accuse aussitót de demagogie Il s'en fout. Mais il ne veut pas devenir le specialiste de la cocotte-minute, le chantre de la soupe au pistou ou le troubadour engagé à guichets fermés, le facteur lyrique délivreur des rn,essages de gauche tintinnabulant dans des coffres-forts de droite. Il veut se garder le droit de hurler, et de murmurer. De dénoncer, et d'aimer. " Chaque auteurcompositeur cache un poète congédié. Je ne veux pas devenir un fonctionnaire de la chanson. Je préfère réussir ma vie que réussir dans la vìe. "

 Il y a des chanteurs-aspirines, et des chanteurs-café. Pagani veut rester éveillé, en réveillant si possible les autres.

" Plaire à tout le monde, c'est n'étre personne.

" Je gène, donc j'existe.

" Je n'irai pas faire une étude pour savoir si je plais ou non, et à qui ? Je n'en ai rien à foutre. Je ne vais pas gommer les ratures de mon caractère, ni me refaire une psyché, comme on se refait le nez.

" On dit que je fais la pute ? Attention ! J'aime l'amour, pas l'argent. Et puis, ceux qui jugent sont le plus souvent des marchands de saucisses.

" Tous les charcutiers de la chanson se demandent si je suis un cochon sincère. "

 

Ainsi les medias -n'ont pas aimé Show-biznesse :

Le show-biznesse c'est comme papa

Ca s'ouvre un iour à la. musique

Mais nioi je suís un fils ingrat

Il m'a fait naltre et ie le critique.

 

Mais voyez-vous quand en passant

Je m'aperqois dans les vitrines

Sur des pochettes à cinquanta francs

J'aì des éclairs dans la rétine

Toi qui m'écoutes sur cassette

Toi qui m'écoutes sur platine

Je n'chante pas pour tes centimes

Mais pour causer en téte à téte

Si t'apprécies mes quelques rimes

Mais t'es fauché comme les blés

Mes disques t'as qu'à les voler

T'aura.s mon amitié en prime.

 

Résultat ? Lors de ses concerts, des disques sont régulièrement fauchés au stand, et il n'en fait pas des cauchemars. Etant marginal du métier, il punse qu'íl n'est pas mauvais de dénoncer le sérail dont on connalt les détours...

 

Pour Messieurs les Présidents, méme chose : qu'cst-ce que ga veut dire, de dénoncer.

 

nos tél éphones, toujours trois sur la ligne,

Nous deux et puis un flic avec ses écouteurs ?

 

Pour qui se prend-il en affimiant

 

Bravo pour ces jolies centrales nucléaires

Que le n'ai pas voulues, et cependant ie paye

Et que vous cernerez de mille militaires

En attendant de mettre un compteur au soleil.

 

Ceux qui dénoncent un certain opportunisme et une prétendue volonté de hurler avec les louveteaux n'ont jamais vécu en Méditerranée. lls ne savent pas ce que c'est que la chaleur des gestes, le désir de convaincre, le furieux appétit d'étre reconnu et aimé, la complainte de l'enfant abandonné qui crie à la recherche de bras parentaux qui sont partis sans laisser d'adresse. CEdipe peut ressusciter au musie-ball, et la sincérité s'entourer de projecteurs, de micros, d'images et des bruits de la vie. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Messieurs les Présidents suscite, à chaque couplet, des applaudissements nourris, et si le syndicat des marchands de disques a refusé pendant un mois de distribuer Peintures. A cause de Show-biznesse, où il y avait "incitation au vol". On verra rarement Pagani aux cocktails où l'on se congratule, où l'on se coagule dans les baisers mouillés et les enfants que l'on fait dans le dos. Il va aux premières de ses amis: Mouloudii, Barbara, Brassens, Lama, Perret, qu'il considère comme l'un des plus fins poètes de ce temps, obligé de se déguiser en gros comique pour passer sur les ondes. Mais ses deux grandes passions restent Brel et Ferfé. Brel, l'homme à la voix plus grande que lui, le supplèment d'áme giclant avec la générosité d'un paquebot de tendresse, et Ferré le plus grand, ce " charrieur de poubelles qui écrit comme on chie, qui gifle avec des images, qui n'a aucun respect pour la langue ", qu'il ínterpelle comnìe une pute pour monter avec elle et lui faire incarner tous ses fantasmes. " Amour, ce mot que l'on fait avant que de le dire. " Ou encore : " Des cashmeeres si vrais qu'ils bélent, des vins si vieux qu'ils coulent gagas. " Pagani exulte, transportè d'admiration. Il connalt son Ferré par cecur. " Devant lui, j'éclate ! Je ne suis qu'un besogneux "

 

Tel est Herbert. Crevant d'enthousiasnie pour les idées et les gens qu'il aime, avide de faire partager tout de suite ses coups de foudre et ses illuminations au plus grand nombre. Il faut le voir discuter avec son interlocuteur du moment : d'abord il écoute, attentif, concentrò, assimilant à toute vitesse les idées ou les inforniations qu'on lui transmet, et possédant cette capacité rare de les retraduire sur-le-champ dans son propre langage et de les utiliser comme faisant partie intégrante de sa propre démarche. Je l'ai vu, après des entretiens passionnés avec un économiste proche du P.S., un philosophe que l'on dit " nouveau gourou " et un sociologue qui a découvert son chemin de Damas entre San Francisco et Los Angeles, opérer un transfert thématique avec l'agilité d'un trapéziste sans filet, pour élucider un problème qui n'avait pas du tout été évoqué dans les propos tenus précédemment. Pagani a compris qu'il n'y a pas de sens interdit ni de chasse gardée dans la prairie des idées : ses chansons se nourrissent de ses rencontres et de ses effusions, de ses lectures et de 'ses voyages. Pagani drague les mots comme le font les étudiants avides du quartier Latin leur propose de prendre un verre dans son appartement les divans sont profonds et la musique douce. Les mots n'y résistent pas. Herbert ne se méfie jamais de son premier sentiment justement parce qu'il est le bon.

Le pouvoir d'une structure qui, s'étant mise en place et donnant à manger à un certain nombre de personnes, a intérét à se nourrir d'elle-méme en ne tenant pas compte de la réalité. L'Eglise se protège et c'est en se protégeant qu'elle se tue. L'Amérique se protège, et c'est en se protégeant qu'elle se tue. "

 

" Marx et Jésus sont les représentants d'une idéologie qui a eté trahie par ses admìnistrateurs (1). "

 

Il le dit lui-méme : il n'a pas eu le temps de se construire une véritable culture. D'où sa boulimie d'informations, de titres de bouquins à lire, de pcrsonnes à rencontrer. L'essentiel, pour lui, est de continua à apprendre et de jeter des ponts de poésie et d'inspiration entre deux inforniations nouvelles. Aller toujours lus loin. " J'ai un immense bonheur de vivre, et je suis p

désespéré de savoir que les trois quarts des habitants de la planète ne viven.t pas vraiment. Je crois étre un optimiste lucide, vivant pour le présent, le mien, dépendant évidemment de celui des autres. La différence entre la droite et la gauche c'est que chez l'homme de gauche, la conscience pose l'étape obligatoire dans le chemin du plaisir. On ne peut pas jouir de la vie, ou étre heureux " malgré " les autres. On ne peut étre heureux qu'avec. Donc, on se bat pour ceux qui sont dans la merde lus que nous... Et comme il y en a toujours... On n'a jamais fini ! Je suis un militant sans carte. Celle-ci signifie l'adoption une forme d'obéissance, dont je suis totalement incapable. Ce qui ne veut pas dire que je ne me bats pas ! "

 

Pagani adopte, sur scène et dans la vie, la profession de foi d'Abbie Hoffmann, hippíe clandestin dans son pays américain: " Le territoire sur lequel vous posez vos pieds est une surface libérée. 'Défendez-la. " La lutte, ici, n'est jamais finale.

 

1. A bout portant, émission de télévision, avec M. Lancelot.

 

 

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