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la vita di Herbert
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Portrair d'une decrirure

1. PORTRAIT D'UNE DECHIRURE

 

 

La ferveur, ça ne s'invente pas. Ils étaient plusieurs milliers, à Marseille, au théátre Toursky, le sourire aux lèvres, la Méditerranée dans le regard et les bravos plein les mains. Il y a les chanteurs qui vous prennent par la téte, et ceux qui vous prennent par la main. Il y a ceux qui péchent à la ligne juste, que l'on admire parce qu'ils ont les mémes idées que nous et qu'ils les formulent comme nous n'aurions jamais su le faire ; et ceux qui ont table ouverte à n'importe quelle heure pour l'ami qui vient diner, qui a soif de tendresse beaucoup plus que de vin. Pagani est de ceux-là. Au théátre Toursky, à Marseille, ils étaient plusieurs milliers à féter leurs retrouvailles avec le garçon barbu et chaleureux qui est devenu, en quelques années, un de nos gardes du coeur les plus vigilants.

On sait depuis Mac Luhan que le monde est un village global où les tam-tams de la radio et de la télévision répercutent jour et nuit les nouvelles des cousins de partout. Le cerveau cartésien est bombardé d'images stéréotypées ; pour resister à la robotisation universelle, le cerveau dit " primitif " dresse des barricades et agite furieusement les drapeaux rouges et noirs de l'imaginaire. Le droit à la différence surgit alors, soleil inèdit dans nos espaces quadrillés. Si Pagani chante avec autant d'efficacité la singularité d'étre, c'est parce que sa vie démarre d'emblée sous le signe du non-conforme. La chanson, on le verra, peut étre le plus court chemin de soi à soi.

Imagine, maintenant

Toute une enfance sans caresses

Une guerre de vingt ans

A coups de gifles et d'avocats

Dans mon ile se battaient

Trois naufragés de la tendresse

Trois ratés de l'amour

Notre famille c'était ça.

Il n'est pas si fréquent de naltre en Libye de parents hispanoberbères, juifs, italiens de fraiche date, qui divorcent un an et demi après la naissance d'Herbert. Du coup, l'enfant devient l'Alsace-Lorraine d'un couple en déconfiture. On s'arrache le berceau. Le père, flambeur, homme d'affaires, enlève son fils pour le placer dans diverses pensions allemandes et autrichiennes. La mère, installée par la suite à Milan, vendra tous ses bijoux pour suivre son fils à la trace. L'enfance de Pagani se déroule comme un feuilleton mélo d'une télévision néo-réaliste : marchandise précieuse, maltraitée, comblée, il est l'objet du chantage et le réceptacle des haines conjuguées : " Ta mère est une pute. Elle t'a abandonné. " " Ton père est un salaud. Il t'a volé. " Pagani, quand il emphatise sur scène, quand il fait de grands gestes, c'est que des milliers de spectateurs ne sont pas de trop pour remplacer les absences premières, celles qui comptent. Juif errant par nécessité, il est catapulté entre l'Italie, la France, la Suisse, l'Allemagne, grosse boule de tendresse sans objet.

Et le fus déporté de collège en h6tel

Je n'ai vu que des gares comme décor de Noél

J'attendis 20 ans pour naitre

Accoudé à la fenétre

du Calendrier.

Voilà donc l'enfant du Sud dans la neige de Ritzlern. Bonheur blanc de la paix rétablie : le petit Juif entonne les chants de Noel devant le beau sapin, roi des foréts, o Tannenbaum, o Tannenbaum, cheveux d'ange, crèche, images d'Epinal des nuits fraiches sur le lac Léman où l'enfant de choeur entendait la cheftaine dire à l'une des jeannettes : " Une vraie chrétienne ne pleure pas. " Le petit Pagani respire, comme les autres, dans la norme. Un jour, sa mère débarque et l'emmène à Rome avec un faux passeport. Mais le père la traque dans une clinique de Bologne et subtilise Herbert à nouveau. La féte continue.

A l'áge de 5 ans, le choc : un petit garçon en culotte courte joue devant la porte d'un collège en bois. Une femme brune se tient debout et le dévore de tous ses yeux. Le petit garqon a peur. Il se réfugie, les yeux embués, dans les bras de l'une des deux directrìces. " Il y a toujours eu trois femmes simultanément dans ma vie, sourit Herbert. Une que j'aíme, deux qui me protègent. " L'étrangère lui parle doucement, en italien, mais le petit garqon ne comprend pas. Et soudain, à bout d'arguments, la femme se met à chanter. Une berceuse hébraique. Inattendu, inexplicable, c'est le déchirement : Herbert fond en larmes et crie " maman, maman ". Il arrive que les feuilletons mélo fréquentent les chemins de la vraie vie. Mais le père ne tardera pas à reprendre possession de son bien.

 

M'as-tu bien regardé, j'ai la boucle berbère

M'as-tu bien écouté, f ai la. voix d'un maçon

C'est dans l'huile d'olive que le cuis mes chansons

Et je parle des mains et j'adore ma mère

Et j'ai tant de pogroms dans mon coeur millénaire

Que j'hésite parfois à manger du jambon.

A 7 ans, Herbert est en France, au collège de Saint-Gerrmain-en-Laye. Il connait l'italien et l'allemand, mais pas un mot de français. Il a tót fait d'étre premier en dictée, comprenant d'instinct que l'italien étant un latin bátard, il se métamorphose en Assimil jovial par la vertu des déclinaisons : " Nid, en italien se dit nido " ; d'où son assurance sur l'orthographe des terminaisons. Et le professeur de français de donner en exemple l'intelligence du petit Italien qui apprend si vite.

Les souvenirs de Pagani sont comme le vin : ils se bonifient en vieillissant. Interne, n'ayant aucune famille à retrouver en week-end ou pendant les vacances, il se dépense comme un fou pour gagner l'affection des autres. Il aime organiser, plutót que jouer. Il survole les études comme une mouette : les mathématiques lui sont idiome inconnu qu'il ne s'efforcera pas d'approfondir. Sa passioni avant l'inconimensurable mystère de la féminité, sera le dessin. Dans le vacarme hostile des parents, c'était le seul langage dans lequel il ne risquait pas d'étre interrompu. Très tót, l'adolescent s'oriente vers le dessin fantastique. La perspective renversée donnant illusion de l'infini qui git dans l'espace blanc. Le dessin, jusqu'à l'apprentissage de la chanson, sera le fil rouge de Pagani, son poumon d'acier. Des premiers réves sur encre de Chine aux visions de Venise qui accompagneront son tour de chant, il n'y a pas de solution de continuité : de la grotte de Lascaux aux cahiers d'écolier, les hommes ont toujours révé leur vie avant de la vivre.

L'année du bac, il la passe au lycée du Shape (celui des forces amérìcaines ) où il se lie d'amitié avec Anne-Marie Rousselot, fille du poète Jean Rousselot. Celui-ci sera le premier père spirituel de Pagani. Il lui fait découvrir la science-fiction, les poètes, les bátisseurs : Marx, Freud, Nietzsche. Les rencontres importantes se font le plus souvent Ioin des bancs du lycée : Rimbaud, Verlaine, Baudelaire lui montrent l'infini miroitement des mots, il découvre Escher et Piranèse qui ont dessiné - sans qu'íl le sache - ses espaces intérieurs, et il tombera malade d'amour pour " le plus grand de tous, Victor Hugo ". Rousselot ne se méprend pas sur les potentialités du jeune homme qui dévore sa bibliothèque. Il donne à la revue Planète un artiele intitulé " Un visionnaire de vingt ans : Pagani ", dans lequel il écrit

" Sur la précocité de Pagani et sur le naturel confondant avec lequel, dès sa seizième année, il a peint, dessiné et gravé sa propre "hypemature", je peux apporter un témoignage irréfutable et ne m'en ferai pas faute. Aussi bien, ai-je vu naitre et se développer sous mon propre toit cette extraordinaire vocation ; aussi bien, dessinant ou peignant moi-mème, à l'autre bout de la table, ai-je dú parfois m'arréter de travailler parce que mes mouvenients faisaient trembler la main de cet enfant de génie…

" Si je parle de moi, qu'on m'en excuse : c'est que je ne puis faire autrement. Pour les lui avoir révélées, moi seul peux affìrmer, par exemple, que Herbert Pagani ne connait les peintures paranoiaques d'Arcimboldo et celles, fantastiques, de Fuseli, que depuis 1963 et, depuis octobre 1964 seulement, l'oeuvre gravée de William Blake. De meme suis-je seul à pouvoir établir avec certitude les dates de telles émotions provoquées en lui par des ce ' oeuvres littéraires. Je pense ici, en particulier, au Matin des Magiciens, que je lui donnaí à lire l'année de son premier bac, et aux contes ou romans fantastiques de Jean Ray, Lovecraft, Bradbury, etc., qu'il n'a pas trouvés ailleurs que dans ma bibliothèque, entre sa dix-septième et sa dix-neuvième année. "

Il n'était pas inutile, on en conviendra, de planter ces repères. lls établissent indiscutablement que si telles influences picturales ou littéraires ont pu s'exercer sur Pagani, elles ne l'ont point déterminé. Il ignore à peu près tout du surréalisme : effaré de découvrir en Rodolphe Bresdin un de ses précurseurs, laisse échapper un cri d'irritation : " On avait donc déjà fait ça ? ", devant des photographies, datées de 1935, où l'on voit des arbres à téte de poupée, ou des toiles de Jean Marembert, datées de 1930, que traversent des corbillards tirés par des colombes. Bref, rien de livresque dans son inspiration. C'est un oeil neuf et, comme tel, capable de réinventions surprenantes. En 1962, par exemple, ma surprise n'a pas été mince de le voir, pour illustrer mon livre sur la Sicile, graver des plumes dignes de Séraphine de Senlis, dont il n'avait jamais entendu parler, pour en coiffer la téte d'un puppo en armure auquel, spontanément, il faisait prendre des attitudes triangulaires sans savoir encore que les Grecs avaient baptisé la Sicile Trinacria.

C'était là son premier cuivre ; je l'ai devant les yeux tandis que j'écris cet article ; admirant sa stupéfiante virtuosité et, surtout, sa soumission parfaite aux Iois du genre, je ne puis m'empécher de penser à cette phrase de Blake (de qui, je le répète, Pagani ignorait jusqu'au nom) : " Plus est distinct, aigu et ciselé le contour, et plus est accomplie l'oeeuvre d'art... Retirez cette ligne et vous retirez la vie elle-méme. "

Il m'a grandement agacé, le jour où je lui faisais les honneurs de ma forét de Marly, en ne s'intéressant qu'à des fragments de carrelage bigarrés, dont on s'était servi our combler les ornières. L'année où il a passé ses vacances à Venise, les touristes n'ont pas dú comprendre davantage pourquoi ce garçon passsait son temps à patauger dans la vase de la lagune, au lieu de se rótir au Lido... C'est qu'il y avait là, roulés, polis, ciselés par la mer, des bouts de verre multicolores avec lesquels faire des bijoux sauvages, des crucifix à la Rouault. Et c'est le jour où j'ai escaladé le " duomo " de Milan, ce pachydernie gothique, et parcouru le labyrinthe de ses superstructures éminemment futuristes et surréelles, que j'ai vraiment pénétré la nature tout ensemble émerveillée et angoissée de mon jeune camarade. Les gouttes d'eau à l'intérieur desquelles on voit un opera, les racines bizarres, les ossements blanchis qu'une vague où s'est baigné Homère a peut-étre portés jusqu'à nous, les mondes d'autrefois ou d'ailleurs (et ce sont peut-étre les mémes) que l'on voit se profiler dans le faux bois, le marbre, les eczémas de la rouille, la coupe d'un citron, les accidents de tissage d'une étoffe ou les trompe-l'oeil d'un ciel entrevu à travers les branches, voilà pour les " documents inspirateurs ".

" Que, dans ce monde ancien, il soit allé vers la Renaissance plutót que vers le Moyen Age ou le romantisme, voilà sans doute ce qu'explique son besoin profond de certitude et de joie (ce jeune "fantastique" est le plus sain, le plus enthousiaste des compagnons), et j'aime qu'un critique, à propos de sa première et triomphale exposition (1), ait apparenti Herbert Pagani aux grands créateurs italiens du XVle siècle. "

Pagani termine donc en Christophe Colomb son apprentissage scolaire : il se retrouve, comme toujours, chat qui s'en va tout seul. Son père lui demande ce qui lui ferait plaisir, comme premier cadeau d'adulte: " Une année en paix. " Mille francs par mois pour survivre, et les chemins ombrageux et fleuris de la liberté. Papa paiera pendant trois mois, puis coupe les vivres au fils prodigue. Herbert mène des jours tranquilles à Paris avec une " fiancée " américaine de cinq à six ans de plus que lui. Plus de devoirs, pas ancore des droits, il survit en vendant des dessins, des cartes de voeux, des collages détournés dans les cafés et les restaurants : l'amour, la bohème, l'éclatement dans toutes les rues d'une capitale qui devient son second pays : le feuilleton continue, couleurs de démesure.

 

 

 

(1) A Cannes, Galerie Pierre-Picard, en 1963.

 

   

Update: 16 agosto 2009